Le monde du vin regorge de traditions séculaires, de terroirs prestigieux et d’histoires de familles passionnées. Mais parfois, entre deux rangs de vigne, on tombe sur des anecdotes totalement insolites qui semblent défier la gravité – au sens propre comme au figuré. C’est le cas à Châteauneuf-du-Pape, ce village du Vaucluse mondialement célèbre pour ses vins rouges puissants et élégants. Depuis 1954, un arrêté municipal y interdit purement et simplement… l’atterrissage des soucoupes volantes.
Oui, vous avez bien lu.
25 octobre 1954 : le jour où Châteauneuf-du-Pape a dit non aux ovnis
Tout commence au cœur de la vague d’ovnis qui déferle sur la France à l’automne 1954. À cette époque, les journaux regorgent de témoignages de mystérieux « cigares volants » et d’ « engins lumineux ». L’imaginaire populaire s’emballe, et la science-fiction s’invite dans les conversations des cafés de village. Dans ce contexte, le maire de Châteauneuf-du-Pape et figure locale haute en couleur, Lucien Jeune, signe le 25 octobre un arrêté municipal pour le moins cocasse :
« Le survol, l’atterrissage et le décollage d’aéronefs, dits “soucoupes volantes” ou “cigares volants”, de quelque nationalité qu’ils soient, sont interdits sur le territoire de la commune. »
Le texte prévoit même que tout engin intergalactique contrevenant sera immédiatement mis en fourrière. Une manière humoristique pour le maire de surfer sur la psychose ambiante, tout en offrant un coup de projecteur savoureux à son village viticole. L’histoire fera le tour du monde, des États-Unis jusqu’au Japon, et contribue encore aujourd’hui à la légende de l’appellation.
Entre deux mondes : un vignoble d’exception
Si Châteauneuf-du-Pape s’amuse des soucoupes volantes, son vignoble, lui, a les pieds bien ancrés dans son terroir caillouteux. Derrière cette anecdote céleste se cache un haut lieu de la viticulture. L’appellation, qui s’étend sur plus de 3 200 hectares, est célèbre pour ses galets roulés. Ces pierres arrondies, vestiges du Rhône et de l’ère glaciaire, jouent un rôle clé : elles accumulent la chaleur le jour et la restituent la nuit, favorisant une maturation optimale des raisins.

L’appellation autorise 13 cépages, mais le grenache règne en maître dans les rouges, épaulé par la syrah et le mourvèdre pour la structure et les notes épicées. Les rouges, qui représentent près de 95 % de la production, sont puissants, charpentés, et capables de vieillir plusieurs décennies dans les meilleures cuvées. Les blancs, plus confidentiels, offrent une bouche ample et aromatique, souvent marquée par des notes de fleurs blanches et de fruits à noyau, avec une belle fraîcheur en finale.
Ce terroir solaire, allié à un savoir-faire séculaire, fait de Châteauneuf-du-Pape un incontournable des caves d’amateurs comme des tables gastronomiques. Des domaines historiques côtoient une nouvelle génération de vignerons qui allient respect de la tradition et approche plus contemporaine des vinifications.
Et au milieu de cet héritage vinicole, l’histoire des soucoupes volantes rappelle que le vin n’est pas qu’un produit de luxe : c’est aussi un vecteur de culture, de convivialité et d’histoires à raconter.
Un patrimoine entre sérieux et légèreté
L’arrêté anti-ovnis, toujours en vigueur aujourd’hui, incarne à merveille cette double identité : un vignoble au prestige incontesté, mais qui sait cultiver un sens de l’autodérision rare dans le monde du vin. À l’heure où les appellations rivalisent de communication pour se distinguer, Châteauneuf-du-Pape rappelle qu’un soupçon de fantaisie peut traverser les siècles… ou les galaxies.
Alors, la prochaine fois que vous dégusterez un Châteauneuf-du-Pape aux arômes de fruits noirs, d’épices et de garrigue, pensez à lever les yeux au ciel. Et si par hasard vous voyez passer un disque argenté au-dessus des galets, rassurez-vous : la municipalité a déjà prévu le coup depuis soixante-dix ans.
