Qu’on le savoure en Bourgogne ou qu’on le débouche à Buenos Aires, le vin reste universel. Mais sa dégustation, elle, ne connaît pas de frontières… ni de règles ! Si la France en fait un art de vivre codifié, d’autres pays s’amusent à le transformer, le rafraîchir, le sucrer, voire le mélanger à des boissons inattendues. Le résultat ? Parfois déconcertant, souvent délicieux, toujours révélateur d’une culture. Cap sur les traditions les plus insolites du monde du vin — entre invention populaire, débrouillardise et plaisir partagé.
1. Espagne – Le calimocho, la revanche du vin de soif
Impossible de parler de mélanges insolites sans évoquer le calimocho (ou kalimotxo, en basque). Ce cocktail populaire, composé de vin rouge et de Coca-Cola, fait lever bien des sourcils en France. Tout commence dans les années 1970, à Algorta, au Pays basque espagnol. Lors d’une fête locale, les organisateurs découvrent que les barriques de vin servies au public ont tourné. Plutôt que de jeter des litres de vin imbuvable, ils décident de le couper avec du Coca pour masquer le goût… et c’est un triomphe.
Depuis, le calimocho s’est imposé comme le breuvage de la jeunesse espagnole. Il évoque les plages d’Ibiza, les concerts improvisés, les premières fiestas. Certains y verront une hérésie, d’autres une madeleine de Proust. Car avouons-le, ce mélange improbable rappelle à beaucoup nos soirées d’ados.

2. Argentine – Le vino con pomelo, fraîcheur en terrasse
Sous le soleil de Mendoza ou de Buenos Aires, les argentins aiment leur vin frais, désaltérant, parfois… pétillant. Leur secret : le vino con pomelo, un mélange de vin rouge (souvent un Malbec jeune) et de soda au pamplemousse. Servi sur glace, ce cocktail marie le fruité du vin à l’amertume du soda. Cela crée un équilibre étonnant et parfaitement adapté aux fortes chaleurs.
Né dans les asados, ces barbecues conviviaux qui ponctuent la vie argentine, le vino con pomelo symbolise un rapport décomplexé au vin. Pas de chichi, pas de carafe en cristal — juste le plaisir du partage. En Argentine, le vin n’est pas sacralisé. Il est vivant, accessible, et se boit au rythme du quotidien.
3. Grèce – Le retsina, la résine dans le verre
En Grèce, on aime le vin depuis l’Antiquité… mais on y a longtemps ajouté un ingrédient surprenant : la résine de pin. Le retsina, ce vin blanc (ou rosé) aromatisé, est né d’une nécessité très ancienne. À l’époque où les amphores n’étaient pas hermétiques, les Grecs scellaient les bouchons avec de la résine, qui finissait par parfumer le vin.
Devenue coutume, cette pratique donne naissance à un goût singulier — herbacé, boisé, parfois camphré — qui divise les amateurs. Si le retsina fut longtemps moqué par les palais occidentaux, il connaît aujourd’hui un retour en grâce. De jeunes vignerons grecs le revisitent avec finesse, en limitant l’amertume et en privilégiant les arômes floraux. Ce vin millénaire prouve qu’une “bizarrerie” peut devenir un patrimoine.


4. France – Le vin chaud, de la Savoie à l’Alsace
Oui, même chez nous, le vin sait parfois se déguiser. Le vin chaud, star des marchés de Noël, est un héritage médiéval. À l’origine, on y ajoutait des épices non pour le plaisir, mais pour masquer l’acidité ou les défauts.
Aujourd’hui, le mélange est devenu gourmand : cannelle, orange, girofle et sucre viennent sublimer le vin rouge, servi fumant dans des gobelets brûlants. S’il a conquis les stations de ski et les chalets alpins, il reste une façon bien française d’assumer que le vin, même humble, peut devenir festif et réconfortant. Un verre de vin chaud, c’est un peu de terroir revisité par la magie de décembre.

5. Turquie – Le Boza au vin, une curiosité fermentée
Plus rare mais fascinante, cette coutume turque consiste à mêler boza — une boisson à base de céréales fermentées — à un trait de vin. Le résultat, légèrement acidulé, évoque une bière douce au fruit rouge. Cette pratique, héritée d’anciennes traditions d’Asie centrale, témoigne d’une longue histoire commune entre fermentation, hospitalité et créativité.
Ce n’est pas un usage quotidien, mais une curiosité régionale qui en dit long sur la frontière poreuse entre vin et autres breuvages fermentés.
Le vin, miroir des cultures
Du calimocho espagnol au retsina grec, du vin chaud alpin au pomelo argentin, chaque pays joue sa partition sur la même portée : celle du vin, symbole universel du partage. Ces traditions, aussi surprenantes soient-elles, rappellent une évidence : le vin n’est pas figé. Il voyage, s’adapte, se réinvente. Et qu’on l’allonge, l’épice ou le sucre, il reste le même vecteur d’émotions, de rencontres et d’histoires.
