Chaque automne, le vignoble alsacien s’embrase. Les rangs de vignes virent au jaune d’or, les villages se parent d’une lumière douce, et le relief, du Bas-Rhin au Haut-Rhin, semble respirer au rythme des derniers rayons de soleil. Dans ce décor presque pictural, une autre transformation s’observe : celle d’un monde viticole qui s’ouvre, accueille et valorise de plus en plus de femmes. L’Alsace compte désormais de nombreuses cheffes de domaines, œnologues, viticultrices et dirigeantes qui participent à écrire une nouvelle page de son histoire.
Une présence croissante et reconnue
Environ un quart des exploitants viticoles non salariés sont aujourd’hui des femmes, selon les données de la MSA et de la DRAAF Grand Est. Ce chiffre, en hausse constante, traduit une évolution de fond. La transmission familiale, autrefois verticale et masculine, s’ouvre maintenant à d’autres héritières. Les écoles d’œnologie accueillent chaque année davantage d’étudiantes, et les structures professionnelles valorisent cette mixité. Ce changement n’a rien d’anecdotique : il traduit la maturité d’un vignoble qui sait évoluer sans renier ses racines.
L’Alsace, riche de 15 500 hectares et de 51 Grands Crus, est un formidable laboratoire pour observer cette mutation. Des coteaux du Brand à ceux du Rosacker, du Hengst au Schlossberg, les terroirs y sont d’une diversité rare. Grès, granit, marnes ou calcaires offrent autant de nuances que de styles de vins. C’est sur cette mosaïque que les vigneronnes tracent aujourd’hui leur voie, conjuguant tradition et modernité, héritage et vision.



Un terroir d’équilibres
Entre plaine du Rhin et contreforts vosgiens, l’Alsace viticole se déploie sur plus de 120 kilomètres, dessinant une géographie complexe qui donne naissance à des vins d’une précision remarquable. Les 51 Grands Crus, classés entre 1975 et 2007, incarnent cette diversité. De Brand à Schlossberg, de Hengst à Bollenberg, de Rosacker à Mandelberg, chaque terroir exprime une identité unique, amplifiée par la main du vigneron.
La saison des vendanges terminée, cette géographie prend une dimension presque théâtrale. La lumière rasante souligne les pentes abruptes, les ceps se parent d’or, et la vigne livre ses derniers arômes avant la taille d’hiver. C’est aussi le moment où l’on mesure la justesse du millésime, entre évaluation, échanges et dégustations. Dans les caves et les domaines, le travail collectif prime, et de plus en plus souvent, ce collectif compte des femmes à des postes-clés.
Portraits de domaines : quatre vigneronnes, quatre expressions du territoire
Elles incarnent à la fois la continuité et le renouveau. Certaines ont repris le flambeau familial, d’autres y ont imprimé leur propre marque. Toutes partagent la même ambition : faire parler la terre avec justesse et rigueur. Dans le sillage de la reconnaissance des Grands Crus, leurs domaines participent à la vitalité d’une Alsace viticole exigeante et confiante.
Annabelle Braun – Domaine Camille Braun (Orschwihr)
À Orschwihr, sur les coteaux ensoleillés du Bollenberg, Annabelle Braun est engagée dans une viticulture en biodynamie, et met un point d’honneur à révéler l’identité de chaque terroir. Son Pinot Noir du Bollenberg illustre ce travail de précision : robe intense, nez de cerise noire et de poivre doux, bouche ample et équilibrée, finale fumée rappelant presque un whisky tourbé. Un vin de caractère qui démontre l’élégance et la profondeur possibles pour les rouges d’Alsace.



Carolyn Sipp Mack – Domaine Sipp Mack (Hunawihr)
À Hunawihr, Carolyn Sipp Mack dirige le domaine familial avec une exigence tranquille. En bio depuis 2010, le domaine conjugue respect du vivant et maîtrise technique. Son Riesling Grand Cru Rosacker séduit par sa couleur dorée, son nez d’abricot sec et de kumquat, et une bouche tendue, saline, d’une longueur remarquable. Un vin pur, vibrant, qui résume l’esprit du lieu et la rigueur de son élaboration.



Véronique Muré – Domaine Muré (Rouffach)
À Rouffach, Véronique Muré s’inscrit dans une longue lignée de vignerons. Visionnaire et exigeante, elle a fait du Clos Saint-Landelin une référence majeure du sud alsacien. Sa pratique de la biodynamie repose sur une observation fine du vignoble et une compréhension intime des sols. Ses rieslings, précis et profonds, traduisent la pureté du fruit et la tension minérale du calcaire. Ses pinots noirs, d’une rare élégance, confirment la montée en puissance du cépage dans la région.



Laure Adam – Domaine JB Adam (Ammerschwihr)
À Ammerschwihr, Laure Adam incarne la quatorzième génération du domaine JB Adam. Elle a su conjuguer héritage et modernité en privilégiant des pratiques durables et une expression claire des terroirs. Sa philosophie est simple : produire des vins lisibles, sincères et équilibrés. Sous sa direction, la maison poursuit son développement, tout en conservant l’esprit artisanal qui fait sa réputation.



Une filière en mutation
Le vignoble alsacien n’est pas seulement l’un des plus anciens de France : il est aussi l’un des plus dynamiques. La montée en puissance des femmes dans la filière accompagne une évolution plus large, marquée par la transition écologique, la valorisation des terroirs et le renouvellement des modes de transmission. Cette ouverture ne se traduit pas seulement dans les chiffres, mais dans les mentalités : le leadership féminin est pleinement intégré, naturel, attendu.
De Ribeauvillé à Rouffach, de Riquewihr à Orschwihr, les femmes occupent une place légitime et reconnue, fruit d’une évolution culturelle et professionnelle profonde. Dans ce paysage d’automne où chaque grappe reflète la lumière, c’est tout un territoire qui se transforme — plus inclusif, plus divers, plus représentatif de son époque. L’Alsace, fidèle à sa tradition d’équilibre entre rigueur et ouverture, offre un visage nouveau : celui d’un vignoble où le talent, bien plus que le genre, fait désormais la différence.