Quand on débarque dans le Péloponnèse, le vent emporte un parfum d’origan et de raisin mûr. Ici, à Nemea, les pierres racontent des histoires antiques, et les vignes perpétuent des récits plus récents, mais tout aussi passionnés. Au Domaine Nikolaou, trois générations se sont transmis un savoir-faire enraciné dans cette terre puissante, lumineuse, vivante. Une terre où l’histoire se boit à petites gorgées...et sublime l’Agiorgitiko.
Une terre de vin et de dieux
Avant même de parler de raisins, on s’arrête, émerveillés, devant les colonnes du site archéologique de Nemea. Hautes, majestueuses, elles veillent depuis l’Antiquité sur cette région bénie des dieux. Autrefois, les jeux panhelléniques s’y déroulaient. Aujourd’hui, ce sont les ceps qui luttent sous le soleil pour perpétuer la tradition. Ce décor sacré donne le ton : ici, tout est affaire de temps long.


Nemea n’est pas une région viticole comme les autres. Elle est considérée comme l’un des berceaux du vin grec, avec une histoire qui remonte à plus de 2500 ans. Ici, tout évoque l’Antiquité : les temples, les amphores retrouvées au fil des fouilles… Et surtout, le cépage roi, l’Agiorgitiko, dont les racines semblent aussi profondes que les légendes.
Située entre 250 et 900 mètres d’altitude, elle bénéficie d’un terroir remarquable. Les sols argilo-calcaires sont riches, bien drainés, et associés à un climat méditerranéen tempéré, marqué par des étés secs et chauds, mais aussi par des écarts de température bénéfiques entre le jour et la nuit. Cette amplitude thermique permet une maturité lente et maîtrisée des raisins, tout en conservant une belle acidité naturelle.
Ces terres d’altitude donnent naissance à des vins puissants, mais toujours équilibrés. Des rouges profonds, des blancs éclatants, et parfois même des retsinas d’une finesse rare. Nemea, c’est une mosaïque de parcelles, de petites propriétés, de coutumes locales. Un vignoble encore trop peu connu, mais qui recèle des trésors. Et parmi eux, le Domaine Nikolaou.
Une hospitalité à la grecque
Lorsque j’arrive ici, ce qui me frappe d’abord, c’est l’atmosphère paisible du lieu. Une lumière douce caresse les vignes, le silence est seulement ponctué par le bruissement des feuilles. L’équipe nous accueille avec une chaleur simple, sincère. Ici, on prend le temps. Le temps de vous saluer, de vous expliquer, de vous faire goûter.
Si ce sont les collaborateurs du domaine qui nous ont guidés, nous avons eu la chance d’échanger avec Yannis Nikolaou et son épouse. Tous deux incarnent parfaitement l’esprit de la maison : humilité, passion, et amour de la transmission. Yannis, formé à Bordeaux, a ramené en Grèce une vision précise du vin et une exigence technique qui se mêlent harmonieusement à l’instinct méditerranéen. Son épouse, elle aussi passée par la capitale girondine, partage cette sensibilité franco-grecque. Un pont invisible relie donc ces vignes du Péloponnèse aux terroirs bordelais. Et leur fils Dimitris, né à Bordeaux, reprend aujourd’hui le flambeau avec énergie.

Sous le soleil grec, un vignoble vivant
Il y a quelque chose de très pur dans ce vignoble : des rangs ordonnés, mais vivants, des sols secs qui conservent leur vigueur. On nous explique qu’on n’irrigue qu’en cas de grande sécheresse. Pas plus. Le cep doit plonger, chercher en profondeur sa raison d’être, puiser dans la roche et les souvenirs.
Cultiver, ici, ce n’est pas dominer la terre. C’est dialoguer avec elle. C’est une évidence. Le respect du sol, du fruit, de la plante est au cœur de chaque geste. Pas d’engrais chimiques, pas de pesticides. Un peu de cuivre, un soupçon de soufre, et surtout une observation constante des ceps. On les laisse respirer, s’exprimer. Et ça se ressent dans le verre.
Agiorgitiko, cépage antique au cœur moderne
Parmi les cépages du domaine, il y en a un qui domine avec prestance : l’Agiorgitiko. Il serait né à quelques pas d’ici, à l’ombre de l’ancienne cité de Nemea. On le surnomme parfois le « sang d’Héraclès », car la légende veut que le héros, après avoir vaincu le lion de Némée, ait bu ce vin pour célébrer sa victoire. On comprend pourquoi : ce cépage donne des rouges profonds, aux tanins souples, à la robe sombre comme la pourpre d’un manteau royal. Un vin qui a l’élégance du mythe et la générosité du climat.

Trois coups de cœur au fil de la dégustation
Le Retsina, hors clichés
Longtemps mal compris, le Retsina retrouve ici ses lettres de noblesse. Ce vin blanc aromatisé à la résine de pin, né dans l’Antiquité pour mieux conserver les vins, dévoile chez Nikolaou une version élégante et équilibrée. On sent la résine, oui, mais elle se fait subtile, presque florale. Une caresse herbacée plus qu’un choc. Le vin d’un été sur une terrasse grecque, entre amis.
Le Cabernet Franc, version méridionale
Voilà un cépage que je connais bien, que j’aime pour sa finesse, ses épices, son côté un peu rebelle. Et ici, surprise : il s’exprime avec une douceur inattendue, comme s’il avait trouvé la lumière qui lui manquait parfois ailleurs. Il conserve sa fraîcheur, mais y ajoute une maturité solaire. Une belle interprétation, à la fois fidèle et libre.
Mirage, l’Agiorgitiko qui touche juste
Mirage m’a profondément marquée. Vinifié avec soin, sans intrants superflus, élevé trois mois sur lies en fûts de chêne, ce vin dévoile un bouquet somptueux : prune, cerise noire, fruits rouges compotés. En bouche, c’est fin, presque aérien, avec une finale fraîche qui rappelle les nuits étoilées sur les collines de Nemea. Un vin en équilibre parfait, tout en retenue et en profondeur. Un vin qui ne crie pas, mais qu’on n’oublie pas.


