À Bordeaux, une distillerie pas comme les autres a transformé un ancien bunker militaire en chai à whisky. Orge locale, barriques de grands crus, fumaison aux algues… Bienvenue chez Moon Harbour, un ovni bordelais aussi décalé que passionnant.
Un projet un peu fou (et complètement génial) : distiller du whisky dans un bunker
L’histoire commence en 2017 avec Jean-Philippe Ballanger, un entrepreneur, passionné de wisky, qui rêve de faire rayonner Bordeaux autrement. Et pas question de faire un whisky “inspiré de”, non : il veut du local, du vrai, du bordelais pur jus (ou pur malt, en l’occurrence). Son idée un peu folle ? Transformer un immense bunker militaire, construit entre 1941 et 1943, en chai de vieillissement pour whisky.

Le lieu est impressionnant : 20 mètres de haut, des murs de 6 mètres d’épaisseur, une ambiance un peu mystique… mais parfaite pour faire vieillir de l’alcool dans des conditions stables. Il faudra deux mois rien que pour ouvrir la porte, mais le 6 septembre 2017, le chai est prêt. Et fin 2020, Moon Harbour sort son tout premier whisky.
Une production artisanale et locale
Moon Harbour, c’est avant tout une distillerie locale et artisanale. L’orge utilisée vient de Saint-Jean-D’Illac et de l’île de Patiras, dans l’estuaire de la Gironde. Elle est ensuite maltée, c’est-à-dire humidifiée et germée pour transformer ses amidons en sucres fermentescibles. C’est ce qu’on appelle l’orge maltée, la base du fameux single malt (un whisky produit dans une seule distillerie, uniquement à partir d’orge).

L’eau ? Elle vient de Bordeaux aussi ! Mais attention, pas n’importe comment : elle est filtrée, adoucie, osmosée pour qu’elle soit parfaitement pure. Ensuite, elle est chauffée à 80 °C et mélangée à 850 kg de malt dans une cuve contenant 4 000 litres d’eau. Ce processus, appelé brassage ou empâtage, dure 4 à 5 heures. Il permet de libérer les sucres qu’on va ensuite faire fermenter.
Puis direction la cuve de fermentation, où des levures sont ajoutées pour transformer les sucres en alcool, sans aucun autre ingrédient : ici, pas d’arômes ajoutés, pas d’additifs. Après 2 à 3 jours, le moût titre environ 7 % d’alcool. Il est temps de passer à la distillation.
La distillation selon Moon Harbour : lente, douce, précise
Ici, pas de double distillation comme en Écosse, mais une simple distillation à la manière de l’Armagnac. Et pas avec n’importe quel alambic : la distillerie travaille avec Stupfler, une entreprise bordelaise qui fabrique des alambics en cuivre à structure alvéolaire (unique au monde !). Cette technologie permet une distillation très lente (6 heures) qui donne un distillat floral, aromatique, doux, loin des alcools agressifs.

Résultat : à partir de 1 000 litres de moût à 7 %, on obtient environ 100 litres d’alcool pur à 70 %. C’est ce qu’on appelle l’eau-de-vie — elle est encore transparente à ce stade.
Bonus vert : les résidus de céréales, appelés draiches, sont récupérés pour nourrir des vaches d’élevage. Zéro déchet, 100 % local.
Un whisky fumé… sans tourbe
Alors là, accrochez-vous. Si vous êtes fans de whiskys tourbés à la Laphroaig ou Lagavulin, vous savez que la tourbe donne cette fameuse note de feu de bois, un peu médicinale. Sauf qu’en France, l’usage de la tourbe est quasi interdit (zones protégées, toussa toussa).
Moon Harbour a donc eu une idée aussi maline que locale : utiliser des algues du Bassin d’Arcachon pour fumer le malt. Les fumées d’algues sont diffusées dans un conteneur où se trouve l’orge maltée. Résultat : un whisky fumé, marin, végétal, sans trace de tourbe. Leur cuvée Dock 3 en est la preuve vivante (et franchement, c’est bluffant).

Des barriques de grands crus pour l’élevage
C’est dans le bunker que la magie continue. Les conditions de vieillissement y sont idéales : une température stable entre 13 et 25 °C, avec très peu de variations saisonnières, et un taux d’humidité élevé. Résultat : une part des anges (évaporation naturelle de l’alcool) de seulement 2 %, contre 6 à 8 % en Écosse.
Moon Harbour possède aujourd’hui 600 barriques, toutes issues de grands châteaux bordelais. Sauternes (Guiraud, Rieussec), Pessac-Léognan (Carbonnieux), Saint-Émilion (Pipeau), ou encore Médoc (Cantenac Brown, Léoville Poyferré)… des noms prestigieux pour une identité résolument locale.
Les barriques sont fraîchement vidées, nettoyées, non souffrées, ce qui permet au whisky de vraiment s’imprégner des arômes du vin. Résultat ? Des whiskys jeunes mais ultra aromatiques et colorés, avec une vraie patte bordelaise.

Des cuvées qui racontent leur terroir
Moon Harbour décline sa gamme avec plusieurs cuvées signatures :
- Dock 1 : 100 % élevage en barriques de Sauternes. Douceur, fruit et rondeur sont au rendez-vous.
- Dock 2 : 100 % élevage en barriques de vin rouge. Plus structuré, tannique, avec une belle tension.
- Dock 3 : le fameux fumé aux algues d’Arcachon. Iodé, salin, original.
- Signature : il allie la force du fruit lié à la barrique de Sauternes et le côté épicé des barriques de vin rouge

Et pour sublimer la dégustation, pendant les mois d’avril et mai, la distillerie propose un accord inédit imaginé avec la maison Darricau, chocolatier bordelais emblématique :
- Dock 1 s’associe à un chocolat de Madagascar à 64 %, tout en finesse et en douceur.
- Dock 3 se marie à un chocolat sucré-salé baptisé “Grain de sable”, pour une expérience gourmande et iodée.
Une exclusivité disponible uniquement à la distillerie, lors des visites guidées de printemps !
Une production en croissance… mais raisonnée
Aujourd’hui, la distillerie produit 70 000 bouteilles par an, et vise les 90 000 avec l’automatisation de certaines étapes. Mise en bouteille sur place, engagement RSE (bouteilles allégées de 600 g), vente à 90 % en France… Moon Harbour a su grandir sans perdre son âme.
Cerise sur le gâteau : ils ont relancé la production de La Vieille Cure, un alcool historique dont la fabrication avait cessé en 1986. Grâce à un rachat et à la modernisation de la recette, cette liqueur bordelaise renaît de ses cendres, dans le respect de son héritage.
Conclusion : Bordeaux, mais version whisky
Moon Harbour, c’est un OVNI dans le paysage bordelais. Un whisky vieilli dans un bunker, fumé aux algues, distillé à la Stupfler et élevé en barriques de grands crus… Il fallait oser, ils l’ont fait. Et franchement ? C’est réussi. Une adresse à visiter sans tarder, et des cuvées à déguster avec curiosité, plaisir… et modération bien sûr.
Envie de visiter ?
La distillerie se visite toute l’année, avec des dégustations à la clé. Si vous voulez plonger dans un univers unique, mêlant histoire, terroir, innovation et gourmandise, Moon Harbour est l’étape bordelaise qu’il ne faut pas manquer.
Infos et réservations : moonharbour.fr