Ils s’appellent Négrette, Ondenc, Arbanne ou Petit Meslier. Des noms aux sonorités anciennes, presque effacées, que l’on croise rarement sur les étiquettes. Longtemps relégués au rang de curiosités ou fondus dans des assemblages, ces cépages dits “oubliés” ou “méconnus” font aujourd’hui un retour discret mais puissant. Une réapparition qui dit quelque chose de notre époque : le besoin d’authenticité, de singularité, et d’un lien plus profond au terroir.
Mais qu’appelle-t-on un cépage oublié ?
Ce sont souvent des variétés anciennes, parfois locales, parfois issues de sélections massales d’un autre temps. Tombés en désuétude au fil des siècles – parce que jugés moins productifs, trop délicats, trop peu standardisables – ils ont été peu à peu arrachés au profit de cépages plus “modernes”, plus rentables, plus réguliers. Le XXe siècle viticole a, il faut le dire, beaucoup sacrifié à l’uniformisation.
Mais ces cépages oubliés portaient en eux une richesse précieuse : celle du lieu. Car s’il y a bien une chose que le vin nous enseigne, c’est que l’adéquation entre un sol, un climat, et une plante ne se décrète pas. Elle se cultive, se murmure, se transmet. Et ces variétés anciennes, si elles ont traversé les siècles, ce n’est pas pour rien : elles étaient souvent parfaitement adaptées à leur terroir.
Une renaissance nécessaire
Depuis quelques années, un mouvement de fond s’amorce. À l’heure où le changement climatique impose de repenser les équilibres, ces cépages jugés trop “capricieux” hier se révèlent aujourd’hui précieusement résilients. Plus tardifs, plus résistants à la chaleur, plus sobres en eau. Mais au-delà des aspects techniques, leur retour signe aussi une autre chose : la réaffirmation de l’identité des régions viticoles.

Car un vin, ce n’est pas qu’un cépage. C’est une histoire, une géographie, un patrimoine. Redonner leur place à ces variétés oubliées, c’est redonner une voix à des terroirs parfois trop longtemps standardisés. Et c’est aussi, pour le dégustateur, une promesse de découverte.
Trois cuvées, trois voix singulières
Château Baudare – Perle Noire
Issu du Sud-Ouest, et plus précisément du Frontonnais, la Négrette est l’un de ces cépages à forte personnalité que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Ici, dans cette cuvée Perle Noire, elle se déploie dans toute sa pureté. Les terroirs variés du domaine – argilo-limoneux, sableux et caillouteux – apportent chacun leur nuance.
Vinifiée à basse température et élevée uniquement en cuve, elle livre un vin direct, sans artifice : des arômes de mûre et de fruits noirs, un soupçon d’épices – réglisse, zan – et cette bouche soyeuse, presque veloutée, qui fait toute la particularité de la Négrette. Un vin de caractère, mais sans dureté.
Domaine Philémon – Ondenc
Dans le Gaillacois, l’Ondenc renaît grâce à quelques vignerons passionnés. Longtemps relégué à l’ombre du Mauzac ou du Loin de l’Œil, ce cépage blanc livre ici une expression rare : vinifié seul, sans artifice, presque à nu.
On découvre un vin sec, léger, aux arômes de fleurs blanches. La bouche est pure, droite, sans excès d’acidité, avec une délicatesse qui le rend immédiatement convivial. Un vin de partage, sincère, sans prétention – et c’est peut-être ce qui le rend si attachant.
Drappier – Cuvée Quattuor
La Champagne aussi a ses oubliés. Dans cette maison que j’affectionne tout particulièrement, la cuvée “Quattuor” rend hommage à quatre cépages blancs champenois, dont trois quasi-disparus : Arbanne, Petit Meslier, Blanc Vrai. Seul le Chardonnay y est un nom connu.
Plantés sur des sols proches de ceux du Chablisien, ces cépages trouvent ici une nouvelle voix. Le résultat ? Un Champagne minéral, ciselé, d’une grande fraîcheur. Les arômes oscillent entre raisin frais, agrumes, pommes miellées, fleurs blanches, avec une finale persistante, tendue, presque saline.
Un vin à part, d’une précision rare, qui incarne à merveille cette volonté de récupérer des pans entiers du patrimoine ampélographique champenois.
Revenir à l’essentiel, redonner du sens
Ces cuvées ne sont pas juste originales. Elles sont porteuses de mémoire, d’identité, de choix. En les goûtant, on sort des sentiers battus, on découvre d’autres textures, d’autres arômes, d’autres histoires. On comprend aussi que l’avenir du vin ne réside pas dans l’invention constante, mais parfois dans le retour humble à ce que la vigne savait déjà.
Les cépages oubliés ne sont pas des reliques. Ils sont les gardiens d’un lien ancien entre l’homme, la terre, et le temps. Et s’ils renaissent aujourd’hui, c’est sans doute parce que nous sommes enfin prêts à les écouter.