Ici, il fait toujours beau, et le grand souci des vignerons, c’est la sécheresse. Mais lorsque je me rends à Collioure, il pleut ! Le désespoir d’une bordelaise en quête de vitamine D s’est vite transformé en fascination. Car finalement, venir dans cette région et voir les montagnes accrocher les nuages, ce n’est pas donné à tout le monde. Et déguster des vins racés qui mêlent les influences non plus.
Une mosaïque de paysages et terroirs
À Collioure, les sols sont noirs, profondément ancrés dans le schiste, une roche qui semble défier le temps. Ces terres, aux nuances minérales, sont un spectacle en soi. Leurs couleurs sombres se heurtent au vert éclatant des vignes, créant un contraste saisissant. Les plantes plongent leurs racines dans ce sol aride et y trouvent une force insoupçonnée. Chaque raisin est imprégné de cette intensité. Il y a quelque chose de presque mystique à déambuler au milieu de ce vignoble. Un coin de paradis perché entre mer et montagne. Les ceps semblent se nourrir autant des embruns que des reliefs voisins. Un équilibre fragile, une alchimie parfaite, à l’image de ces vins qui portent en eux la dualité du panorama.
Ce qui est frappant, c’est cette rencontre entre deux mondes. D’un côté, l’impact de la mer, avec ses brises salines qui viennent caresser les grappes et donner aux flacons cette fraîcheur minérale, une note iodée qui évoque les vagues qui viennent s’échouer sur les plages. De l’autre, la montagne, avec ses pentes abruptes et ses sols caillouteux, apportant une structure, une intensité. Un caractère brut qui se fond dans la douceur du climat méditerranéen. Elle délivre des cuvées plus puissantes, tanniques. Si vous avez la chance de goûter un Collioure, fermez les yeux un instant. Imaginez la mer qui s’étend devant vous, le vent qui souffle, la montagne qui vous protège. C’est là que le nectar prend tout son sens. Parce qu’une quille de Collioure, c’est une invitation à découvrir un paysage, une histoire, une lutte constante entre les éléments. C’est une expérience. Un voyage.
Les terrasses ou l’art de façonner la terre
En arrivant, on se retrouve presque hypnotisé par cette organisation en terrasses, qui dessine les versants. Ici, la terre n’est pas juste cultivée, elle est modelée, façonnée à la main, comme un artiste sculpte sa pierre. Ces terrasses incarnent une tradition, un savoir-faire transmis de génération en génération. Et pour ceux qui viennent d’ailleurs, comme de Bordeaux, cette vue est aussi éblouissante.
Elles se distinguent toutes par leur inclinaison, leur pente, leurs murs en pierres sèches qui soutiennent la terre. Elles ne sont pas seulement là pour soutenir les vignes mais participent à la beauté sauvage de cette région. Elles sont le reflet de la rigueur, de l’adaptation et de la patience des vignerons qui ont su, au fil des siècles, apprivoiser ce sol rocailleux et cette topographie escarpée. Les murets modèlent chaque parcelle, ralentissent l’érosion et captent la chaleur du soleil pour la restituer aux vignes. C’est là que la magie opère, que la terre donne ses plus belles saveurs.
La complantation, ça vous parle ?
La nature se fait audacieuse à Collioure, et la vigne, elle, n’a pas peur d’afficher ses multiples facettes. La complantation y est une coutume ancienne. Le principe est simple : planter plusieurs cépages dans un même rang de vigne, créant ainsi une symphonie de saveurs qui se répondent, se complètent et se nourrissent mutuellement. Un acte de générosité de la part de la terre, un hommage à sa diversité. Mais ce n’est pas seulement une technique agricole, c’est une philosophie de la vigne. En associant des cépages comme le Grenache, le Mourvèdre ou le Carignan dans un même espace, on fait naître des vins aux arômes plus complexes, aux équilibres subtils, où chaque variété trouve sa place et enrichit l’ensemble.
La complantation, c’est un peu comme une conversation entre différents caractères, différents accents. Chaque cépage exprime sa personnalité, mais c’est la somme de leurs voix qui donne le ton. Loin de la rigueur des monocépages, elle fait écho à cette nature méditerranéenne qui, ici, se veut plus libre, plus vivante. Une fluidité qui finit par se ressentir dans le verre : des vins plus opulents, plus nuancés.
Des vignerons au caractère affirmé
Collioure, c’est également un éventail de personnalités à la tête de propriétés viticoles qui valent le détour. Marie-Claire et Pierre Fort représentent fièrement l’esprit des vignerons de caractère. Après avoir fondé le domaine Mouscaillo à Limoux, leur passion les a conduits sur la Côte Vermeille, où ils ont créé le domaine Llagastère. Leur retraite n’est pas une pause, mais une nouvelle aventure, pleine de surprises et de délices pour nos papilles. Dans la ville, je me suis laissée envoûter par les chais du Domaine Piétri-Géraud, un lieu d’une originalité rare. Derrière la porte en bois, des cuves de béton nous plongent dans une ambiance intime, presque familiale. Loin de l’image d’une entreprise viticole classique, il respire la passion. Les escaliers étroits mènent à des balcons ombragés par la vigne, où des barriques et des jarres reposent en silence, témoins d’un savoir-faire authentique.
Le Domaine Vial-Magnères, propriété familiale, s’étend sur 12 hectares de vignes répartis entre Banyuls et Port-Vendres. Ses vins dessinent une palette complexe, où le Grenache révèle toute sa richesse, sa finesse et son caractère unique. La Coume Del Mas, née avec le millésime 2001, est l’expression même de la viticulture héroïque. Ses 14 hectares se déploient sur 32 parcelles, où les dénivelés vertigineux rendent chaque intervention humaine cruciale. Là, la mécanisation n’a pas sa place. Le résultat : des cuvées précieuses. Mention spéciale à leur Banyuls ambré, un vin dense et structuré, où la douceur et la puissance se mêlent magnifiquement. Un nectar velouté, ample, aux arômes qui persistent longtemps, laissant place à une finale d’une fraîcheur surprenante.
Mon coup de cœur : Léah Anglès – L’éléphant blanc 2023
Léah Anglès, œnologue de formation, a fait une entrée fracassante dans le monde du vin avec son premier millésime en 2022. Son domaine de 5,5 hectares est réparti entre Collioure, Cerbère et Port-Vendres. Chaque parcelle, souvent replantée, est le fruit d’un travail colossal, rendu possible par son expérience acquise aux côtés de Philippe Gard à la Coume Del Mas.
L’Éléphant Blanc, sa cuvée phare, provient de vignes de Grenache noir très âgées, plantées sur une pente abrupte de Cerbère, à la frontière de l’Espagne. Ces vignes, non mécanisables, offrent un rendement dérisoire de 6 hectolitres par hectare. Le vin, marqué par des arômes salins apportés par la mer, dévoile des fruits rouges mûrs, riches et complexes, ainsi qu’une fraîcheur et une finesse propres aux vins de Léah.